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Home Office: Comment les frais professionnels sont-ils remboursés et le sont-ils ?

Depuis le début des années 2000, le Home Office est un phénomène en plein développement dans le monde du travail. Selon une étude publiée en 2016, plus d’un quart des actifs accomplissent du Home Office au moins une demi-journée par semaine en Suisse. Le Home Office ne fait toutefois l’objet d’aucune règlementation spécifique. Divers aspects liés à cette forme flexible de travail sont néanmoins susceptibles de poser problème. Qu’il s’agisse de la définition même du Home Office ou du remboursement des frais liés à une telle activité, quelles solutions appliquer au regard du droit suisse ?

31/03/2020 De: Marie-Gisèle Danthe
Home Office

Une étude menée par Deloitte en 2016 montre que 28 % des actifs résidant dans notre pays accomplissent du Home Office au moins une demi-journée par semaine[1]. Même si le Home Office régulier (à raison de plus de 50 % du temps de travail) reste relativement rare, le phénomène du travail à distance est en plein développement depuis le début des années 2000 et peut recouvrir de multiples réalités (Home Office occasionnel entre une fois par mois et 50 % du temps de travail ; Home Office mobile avec un lieu de travail changeant). Dans ce contexte, le Conseil fédéral a publié le 16 novembre 2016 un rapport sur les conséquences juridiques du Home Office en réponse à un postulat de la conseillère nationale Lucrezia Meier-Schatz[2]. Dans cette étude, le Conseil fédéral aboutit à la conclusion que les règles générales du droit du travail permettent en principe de répondre aux problèmes nouveaux posés par le Home Office, même si certains points sont susceptibles de poser problème comme la définition du Home Office en tant que telle ou la question de la mise à disposition du matériel et du remboursement des frais.

Définition du Home Office

Pour qu’il y ait Home Office, trois critères doivent être remplis.

Tout d’abord, il faut avoir affaire à du travail à distance, critère de base de la notion. Le Home Office désigne ainsi les personnes qui travaillent en dehors des locaux de leur employeur. Avec ce seul critère, la notion de Home Office serait très large et pourrait inclure le travail à domicile traditionnel, qui fait l’objet de règles particulières et qui constitue une situation très différente du Home Office au sens où on l’entend aujourd’hui.

Ensuite, le Home Office exige une connexion à distance à l’employeur par des moyens de télécommunication et/ou l’utilisation des technologies de l’information[3]. Ce critère limite le type d’activités qui peuvent être effectuées sous forme de Home Office. Ainsi, ce seront uniquement des activités de services de nature intellectuelle qui pourront être accomplies de cette manière. Les activités artisanales, manuelles ou impliquant la réalisation d’un ouvrage matériel, sont en revanche exclues de la définition. Avec une telle approche, le travail à domicile au sens traditionnel du terme n’entrera pas dans la définition du Home Office.

Historiquement, le travail à domicile ne concernait que des activités artisanales. Cette forme d’activité est apparue avant la révolution industrielle et l’avènement des fabriques. Elle touchait avant tout des populations rurales et effectuant le travail en famille à la maison, qui avaient généralement besoin d’un revenu d’appoint apporté par le travail à domicile et étaient dépendantes des marchands ou des intermédiaires qui passaient commande. Cette forme de travail est désormais en net recul, pour ne pas dire qu’elle se réduit à peau de chagrin. A l’inverse, le Home Office tel qu’il est compris aujourd’hui se réfère à une évolution récente, liée à l’intégration des outils informatiques et des moyens de télécommunication modernes dans l’organisation du travail. C’est pour cette raison que les règles prévues par la loi fédérale sur le travail à domicile du 20 mars 1981[4] et les art. 351 à 354 CO relatifs au contrat de travail à domicile n’ont guère vocation à s’appliquer au Home Office contemporain.

Enfin, un troisième et dernier critère permet de définir le Home Office, en plus de celui du travail à distance et de l’utilisation de moyens de télécommunication. Le Home Office ne vise en effet que les activités qui pourraient également être accomplies dans les locaux de l’entreprise. Ce critère permet d’exclure du champ du Home Office toutes les activités effectuées typiquement hors de l’entreprise (par ex. les activités sur un chantier ou les tâches d’un garde-forestier).

Matériel et frais

La pratique du Home Office peut soulever de nombreuses questions, notamment en matière de protection de la santé, de fixation et de contrôle du temps de travail, de protection des données, d’obligation de confidentialité et parfois en matière d’affiliation aux assurances sociales[5]. La mise à disposition du matériel nécessaire au Home Officeleur pour accomplir ses tâches et le remboursement des frais nécessaires à son activité sont aussi susceptibles de poser problème.

En vertu de l’art. 327 al. 1 CO, l’employeur fournit en principe au travailleur les instruments de travail et les matériaux dont celui-ci a besoin. Cette règle étant de nature dispositive[6], un accord ou un usage contraire peuvent toutefois prévoir que les instruments de travail et les matériaux sont fournis par le travailleur. Dans cette hypothèse, l’art. 327 al. 2 CO prévoit que le travailleur doit être indemnisé convenablement, mais réserve également un accord ou un usage contraire. Concrètement, cela signifie que les parties peuvent décider que le travailleur met à disposition les instruments de travail et les matériaux d’une part et qu’il n’est pas indemnisé pour cela d’autre part[7]. Vu le caractère dispositif de l’art. 327 CO, un tel accord serait valable.

D’un autre côté, l’art. 327a al. 1 CO prévoit que l’employeur rembourse au travailleur tous les frais imposés par l’exécution du travail. L’art. 327a al. 3 CO précise même que les accords en vertu desquels le travailleur supporte tout ou partie de ses frais nécessaires est nul.

Les principes posés par les art. 327 et 327a CO paraissent contradictoires et le lien entre ces deux dispositions est controversé en doctrine et dans la jurisprudence. La tendance majoritaire paraît toutefois donner la primauté à la règle impérative de l’art. 327a CO.

Les notions mêmes d’instruments de travail et de matériel doivent être définies, ce qui n’est pas toujours facile. Un téléphone ou un ordinateur portable peuvent être qualifiés d’instruments de travail, tandis que les frais d’électricité, le loyer pour un bureau mis à disposition ou les abonnements (internet, téléphone) relèvent plutôt de la catégorie des frais au sens de l’art. 327a CO.

Il faut également rappeler que les frais imposés par l’exécution du travail au sens de l’art. 327a al. 1 CO visent les frais nécessaires occasionnés par le travail, par opposition à d’éventuelles dépenses d’agrément. Lorsque le travailleur peut exécuter la prestation de travail à son bureau professionnel et qu’il choisit de faire du Home Office par convenance personnelle, on peut se demander si les frais encourus pour le Home Office sont nécessaires au sens de l’art. 327a al. 1 CO[8]. Les frais ne seraient nécessaires que si le Home Officeleur n’a pas la possibilité d’effectuer la prestation de travail dans les locaux de l’entreprise.

Dans un arrêt récent[9], le Tribunal fédéral, saisi d’un recours de l’employeur (une fiduciaire), a pour sa part considéré que lorsque l’employeur ne fournit pas de place de travail adéquate au travailleur et que ce dernier utilise une pièce de son logement pour travailler, les coûts relatifs à cette pièce sont des frais nécessaires (art. 327a al. 1 CO) que l’employeur doit rembourser. On relèvera que le Tribunal fédéral ne s’est pas référé à l’art. 327 CO, mais bien à l’art. 327a al. 1 CO pour ce qui concerne les frais liés à l’utilisation d’une pièce privée à titre de bureau. On ne peut cependant pas tirer de généralités de cet arrêt, qui concernait une situation particulière, puisque le collaborateur ne disposait pas de place de travail au sein de l’entreprise et exerçait son activité exclusivement depuis son domicile. On ne peut en tout cas pas déduire de cette jurisprudence un droit général au remboursement des frais encourus par le Home Officeleur.

Enfin, d’autres questions peuvent se poser encore lorsque le collaborateur utilise des instruments ou du matériel privé tant à des fins privées que professionnelles[10]. Dans ce cas, une des options est de considérer que le travailleur aurait de toute façon consenti aux mêmes dépenses pour son seul usage privé et que l’utilisation professionnelle ne modifie en rien ces frais, qui ne sont pas nécessaires au sens de l’art. 327a al. 1 CO. Mais on peut aussi envisager une autre option, à savoir une application par analogie de l’art. 327b CO, qui traite de l’utilisation professionnelle d’un véhicule privé. En se fondant sur cette disposition, une participation aux frais de l’employeur pourrait être envisagée.

Il découle de ce qui précède que le droit suisse du travail contient effectivement des normes qui pourraient être appliquées à la question de la répartition des frais entre employeur et collaborateur dans les situations de Home Office. Mais comme on a pu le voir, ces règles posent de multiples questions et n’apportent aucune réponse claire et précise à cette éventuelle répartition, ce qui ne va pas sans engendrer certains risques pour les parties.

Recommandations

Vu cette situation incertaine et pour éviter tout écueil, il est vivement recommandé aux employeurs qui souhaitent introduire le Home Office de conclure un accord par écrit avec les collaborateurs concernés, afin de fixer de manière précise les contours dans lesquels ce mode de travail flexible doit être effectué.

Une telle convention doit contenir non seulement un accord de principe sur l’accomplissement du Home Office.

Mais elle doit aussi porter sur l’étendue temporelle du Home Office[11], les règles applicables en matière de confidentialité et de sécurité des données, les instructions relatives à la protection de la santé, la question de la mise à disposition des instruments de travail et du matériel, ainsi que la répartition des coûts et frais liés au Home Office.

Notes de bas de page:

[1] Deloitte SA, L’espace de travail du futur, étude publiée en 2016 et qui peut être consultée à l’adresse internet suivante : https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/ch/Documents/consumer-business/ch-cb-fr-lespace-de-travail-du-futur.pdf

[2] Conseil fédéral, Conséquences juridiques du télétravail, Rapport en réponse au postulat 12.3166 Meier-Schatz

[3] C’est ainsi que l’accord-cadre européen conclu le 16 juillet 2002 entre les partenaires sociaux définit le télétravail.

[4] LTrD, RS 822.31.

[5] Par ex. un télétravailleur frontalier qui accomplirait 25 % ou plus de son activité à son domicile serait soumis au régime de sécurité sociale de son Etat de résidence et non au régime suisse d’assurances sociales.

[6] L’art. 327 CO n’est mentionné ni à l’art. 361, ni à l’art. 362 CO. Il ne fait ainsi partie ni des règles absolument impératives, ni des règles relativement impératives applicables au contrat de travail.

[7] A titre d’exemple, on peut citer la Directive technique « Télétravail » établie par l’Etat de Vaud (même s’il s’agit d’un employeur de droit public qui n’est pas directement soumis au Code des obligations), qui prévoit que le collaborateur met à disposition son équipement informatique privé et sa connexion privée au réseau sans dédommagement et qui exclut tout remboursement de frais et dépenses de service.  L’art. 2.3.4 de la CCT Swisscom 2018 relatif au « Home Office » exclut aussi toute indemnité relative à l’infrastructure technique et/ou l’utilisation de locaux privés.

[8] On relèvera qu’en droit fiscal, le travailleur qui peut accomplir son travail dans les locaux de l’entreprise ne peut déduire les frais liés au télétravail, car ceux-ci ne sont pas nécessaires à l’acquisition du revenu.

[9] TF 4A_533/2018, arrêt du 23 avril 2019.

[10] L’utilisation d’équipements privés à des fins professionnelles, connue sous le nom anglais BYOD (Bring your own device), est un phénomène en plein développement depuis quelques années et il va certainement continuer à s’amplifier.

[11] Pour éviter tout risque en lien avec l’affiliation aux assurances sociales, il est par exemple judicieux de prévoir que pour les collaborateurs qui ne sont pas domiciliés en Suisse, le taux de télétravail exercé hors du territoire suisse ne doit pas excéder 20 % (à partir de 25 %, l’activité exercée à l’étranger devient une activité substantielle et le collaborateur est soumis au régime de sécurité sociale de son Etat de domicile).

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