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Indemnité de départ: Imposition privilégiée

En vertu de la progressivité des taux de l’impôt, l’imposition de telles indemnités est souvent assassine. Le droit fiscal permet de corriger, dans une certaine mesure, cet effet, pour autant que l’indemnité soit « analogue au versement d’un capital provenant d’une institution de prévoyance » (art. 17 al. 2 et 38 LIFD). Nous examinerons ci-après les conditions d’une imposition, en rapport avec un cas d’espèce où une telle indemnité avait été couplée avec un transfert interne et une rétrogradation.

25/01/2022 De: Philippe Ehrenström
Indemnité de départ

Imposition ordinaire d’une indemnité de départ.

En principe, à l’exception de certaines prestations en capital versées lors d’un changement d’emploi et réinvesties dans l’année à des fins de prévoyance (cf. art. 24 let. c LIFD), les rétributions spéciales effectuées par les employeurs à leurs employés au moment où ceux-ci quittent l’entreprise sont imposées en tant que revenu sous l’angle de l’impôt fédéral direct. En effet, l’art. 16 al. 1 LIFD dispose que l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques. Ainsi, cet impôt couvre, entre autres, tous les revenus provenant d’une activité exercée dans le cadre d’un rapport de travail, y compris les revenus accessoires (cf. art. 17 al. 1 LIFD), les revenus provenant de la prévoyance (art. 22 LIFD), les revenus acquis en lieu et place du revenu d’une activité lucrative (art. 23 let. a LIFD) et les indemnités obtenues lors de la cessation d’une activité ou de la renonciation à l’exercice de celle-ci (art. 23 let. c LIFD).

En règle générale, les indemnités de départ sont donc ainsi imposables, selon les art. 17 al. 1 ou 23 let. a ou c LIFD, au taux plein avec les autres revenus du contribuable (cf. art. 36 LIFD).

Imposition privilégiée d’une indemnité de départ analogue à la prévoyance

L’imposition au taux plein de ces indemnités connaît toutefois quelques exceptions, notamment dans les cas où la somme versée par l’employeur est analogue au versement d’un capital provenant d’une institution de prévoyance. L’art. 17 al. 2 LIFD dispose en effet que ce type de versements bénéficie du taux d’imposition privilégié prévu par l’art. 38 LIFD pour les prestations en capital provenant de la prévoyance, ce qui signifie qu’il est imposé séparément et soumis à un impôt annuel entier calculé sur la base du taux représentant le cinquième des barèmes ordinaires inscrits à l’art. 36.

Selon l’art. 17 al. 2 LIFD, pour bénéficier de l’imposition privilégiée, les versements de capitaux alloués par l’employeur doivent être analogues aux versements de capitaux provenant d’une institution de prévoyance en relation avec une activité dépendante. La loi ne définit pas précisément ce que recouvre l’analogie avec les versements de capitaux provenant d’une institution de prévoyance. Il s’avère cependant qu’en établissant, à l’art. 17 al. 2 LIFD, une imposition séparée à taux réduit, le législateur a voulu casser la progressivité du taux et privilégier la prévoyance pour des raisons sociales. On peut ainsi inférer du texte et du but visé par le législateur la volonté de limiter le privilège fiscal aux indemnités versées par l’employeur qui ont un lien étroit avec la prévoyance professionnelle.

Il en découle que les versements de capitaux analogues aux versements de capitaux provenant d’une institution de prévoyance en lien avec une activité dépendante doivent, pour bénéficier de l’imposition privilégiée, revêtir un caractère de prévoyance prépondérant. Il en va en particulier des indemnités de départ versées par l’employeur, lesquelles doivent donc, pour bénéficier de l’imposition privilégiée prévue à l’art. 38 LIFD, avoir un lien étroit avec la prévoyance professionnelle.

L’Administration fédérale a aussi édicté, le 3 octobre 2002, la Circulaire n° 1 sur les indemnités de départ et les versements de capitaux de l’employeur. Selon ce texte, « les indemnités de départ ont un caractère de prévoyance lorsqu’elles sont destinées exclusivement et irrévocablement à atténuer les conséquences financières découlant des risques liés à la vieillesse, à l’invalidité et au décès ». Ainsi, pour que des versements de capitaux effectués par l’employeur puissent bénéficier de l’imposition privilégiée de l’art. 17 al. 2 LIFD, trois conditions cumulatives doivent être réunies : le contribuable quitte l’entreprise après avoir atteint l’âge de 55 ans (let. a), son activité lucrative (principale) est définitivement abandonnée ou doit l’être (let. b) et une lacune dans sa prévoyance découle du départ de l’entreprise et de son institution de prévoyance (let. c). Ce texte ne constitue cependant qu’une directive administrative, sans force de loi, ne liant ni les administrés, ni les tribunaux ni même l’administration; la Circulaire n° 1 ne saurait ainsi être appliquée à la lettre et ne dispense pas les autorités de tenir compte des circonstances du cas d’espèce.

Cas d’espèce : indemnité de départ et rétrogradation au sein du groupe

Un arrêt du Tribunal fédéral 2C_520/2019 du 1er octobre 2019 expose la situation d’une employée (T)  qui a reçu un capital dont le traitement fiscal est litigieux après avoir dû quitter le poste qu’elle occupait depuis 1986 au sein de la direction de l’employeur (E).  T a été démise de sa fonction fin février 2004 à l’âge de 57 ans à la suite d’une restructuration interne de l’entreprise. Elle s’était dans un premier temps opposée à cette mesure, avant de l’accepter en contrepartie du versement d’une indemnité de 237’000 fr. net (correspondant à 250’000 fr. brut) et d’une réaffectation immédiate à un autre poste au sein d’une autre société du groupe.

Selon l’arrêt attaqué, les conditions de cette transaction censée éviter toute action en justice ont été négociées pendant plusieurs mois avant qu’un accord aboutisse. Si la somme précitée a été qualifiée d’  » indemnité de licenciement  » par les parties, la fonction exacte et précise que devait remplir ce capital n’est pas établie par l’arrêt attaqué qui retient, de manière générale, qu’il aurait eu pour but de prémunir T contre le risque objectif de perte totale ou, à tout le moins, substantielle de revenu à moyen ou long terme. Il s’avère en effet que la réaffectation effectuée s’est accompagnée d’une diminution de salaire de presque de moitié.

Sur la base de ces éléments, l’appréciation du Tribunal cantonal relative au caractère prépondérant de prévoyance du capital versé ne peut être suivie par le Tribunal fédéral. Certes, en se voyant licenciée de son poste de direction par E et réaffectée à un autre poste au sein du groupe, T ne pouvait, selon toute vraisemblance, plus espérer bénéficier des prestations de prévoyance dont elle profitait jusqu’alors, compte tenu de la perte de revenu consécutive à ce changement de poste. Il n’est ainsi pas exclu que l’indemnité de départ versée ait pu servir, dans une certaine mesure, à compenser cet inconvénient, notamment dans l’hypothèse où T aurait thésaurisé le montant reçu jusqu’à la retraite, laquelle est finalement intervenue quatre ans plus tard de manière anticipée.

On ne voit cependant pas en quoi le capital payé présenterait sur cette seule base un caractère de prévoyance prépondérant au sens de l’art. 17 al. 2 LIFD. Par définition, toute indemnité de départ, voire « parachute doré » versé au cadre d’une entreprise a pour fonction de compenser la perte des divers avantages liés au poste de travail perdu, parmi lesquels figurent, par la force des choses, ceux liés à la prévoyance professionnelle. Aussi le simple fait que T ait vu ses expectatives de prévoyance péjorées à la suite de la restructuration de la direction de E ne suffit-il pas à fonder un lien étroit entre le capital versé à cette occasion et sa prévoyance professionnelle.

En revanche, force est de relever que l’une des particularités de l’indemnité ici en cause est d’avoir été convenue en même temps qu’une réaffectation immédiate de l’intéressée au sein du groupe, les deux mesures faisant partie d’un même accord transactionnel. Il s’avère ainsi que T ne s’est en réalité jamais retrouvée sans emploi, de sorte qu’il lui était toujours possible de rester affiliée à une caisse de pension et d’y cotiser, ainsi que son employeur. Des montants ont d’ailleurs continué à être versés à ce titre après son changement de fonction, en 2004 et en 2005. Sous cet angle, le capital négocié semble davantage compenser la réduction de salaire à laquelle T a dû consentir parallèlement à sa réaffectation que la diminution de ses expectatives de prévoyance, qui n’en constitue qu’une conséquence indirecte. Autrement dit, cette indemnité de départ de la direction du groupe ne présente, d’un point de vue strictement objectif, aucun lien étroit ou prépondérant évident avec la prévoyance professionnelle de l’intimée.

Notons que la somme en question ne peut pas non plus se voir imposée en application de l’art. 37 LIFD qui prévoit un taux particulier pour les paiements uniques destinés à éteindre une créance relative à des prestations périodiques, même si elle a compensé d’une certaine façon une réduction de salaire à venir. En effet, un tel taux s’applique exclusivement aux versements intervenant sous forme d’un capital unique indépendamment de la volonté de leurs bénéficiaires. Il ne peut dès lors profiter à l’intimée qui a accepté un paiement en capital dans le cadre d’une transaction extrajudiciaire avant même que ne naissent d’éventuelles créances salariales.

Appréciation

Le Tribunal fédéral rappelle avec raison que toute indemnité de départ, tout « parachute », n’a pas nécessairement un caractère de prévoyance prédominant. Il importe donc de toujours préparer la qualification de ces versements, de préférence avec l’institution de prévoyance, pour en assurer un traitement fiscal optimum par la suite.

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