Administrateur étranger: Questions fiscales et de droit des assurances sociales

En tant qu'organe exécutif suprême d'une société anonyme de droit suisse, le conseil d'administration est responsable de la direction stratégique et parfois aussi de la direction opérationnelle. Les sociétés actives au niveau international mandatent souvent un administrateur étranger afin d'apporter à l'entreprise des connaissances spécialisées internationales, des réseaux globaux et des expériences variées. Malgré les avantages qu'il procure, l'emploi d'un membre étranger du conseil d'administration pose également des problèmes en matière de fiscalité et d'assurances sociales. Pour en savoir plus sur les problèmes que peuvent poser le fait d'engager un administrateur étranger, consultez cet article.

25/07/2025 De: Janine Bienz, Myriam Minnig
Administrateur-étranger

Selon la loi, un conseiller d'administration («CA») exerce son activité à titre personnel, que la personne ait été élue par l'assemblée générale ou qu'elle exerce son activité dans l'intérêt d'un tiers («ad personam»). Le diable se cachant dans les détails, exercer une activité au sein d'un CA passera inévitablement par la case «clarification» en matière d'impôts et d'assurances sociales.

Imposition des honoraires d’un membre du CA

Ci-après, lorsqu'il sera question de CA, nous partirons du principe que celui-ci, en tant que personne physique, établit sa résidence fiscale à l'étranger et n'a donc pas de point de rattachement fiscal en Suisse, hormis son activité de CA.

La loi suisse sur l'impôt fédéral direct (LIFD) précise qu'un membre du conseil d'administration d'une société ayant son siège en Suisse et résidant à l'étranger est assujetti à l'impôt en Suisse pour la rémunération qui lui est versée. L'obligation fiscale personnelle du conseil d'administration existe également lorsqu'une indemnité est versée à un tiers, c'est-à-dire à une société à l'étranger.

Dans le cadre des relations internationales, il est important de consulter également la convention de double imposition (« CDI ») pertinente en matière d'imposition. Sur la base du modèle de convention de l'OCDE, qui sert ici de fondement, la souveraineté en matière d'imposition est attribuée au pays dans lequel la société payante a son siège. Cette règle a été reprise par la plupart des CDI et appliquée dans la pratique.

Administrateur étranger et assurances sociales

Il faut vérifier si, en plus de l'impôt à la source, il existe une obligation d'assurance sociale en Suisse sur les honoraires du CA en se référant aux réglementations prévues à cet effet.

Dans les situations où le CA est domicilié à l'étranger, le droit des assurances sociales applicable est déterminé sur la base du droit suisse unilatéral et du droit international qui lui est supérieur - par exemple le règlement de l'UE ou les conventions bilatérales de sécurité sociale.

Exemple de conseil d'administration composé de ressortissants de l'UE

Karsten Müller est de nationalité allemande et exerce en tant qu'avocat indépendant en Allemagne. En Suisse, il est autorisé à travailler depuis février 2023 en tant que membre du conseil d'administration de Chocolat SA et perçoit pour cela des honoraires correspondants. Monsieur Müller aimerait savoir s'il doit également payer des cotisations d’assurances sociales suisses sur les honoraires qu’il perçoit en tant qu'administrateur étranger.

La réponse est simple: oui - et ce n'est pas tout. En effet, si Karsten Müller est assujetti aux assurances sociales non seulement pour les honoraires qu'il perçoit en tant que membre du CA, il l'est aussi pour son revenu allemand issu d'une activité indépendante en Suisse.

Unilatéralement et en vertu du droit suisse, une personne est en principe soumise à l'assurance sociale si elle exerce une activité de CA ou une autre fonction dirigeante en Suisse. Comme pour les impôts, il convient de vérifier l'existence d'une convention de sécurité sociale. Dans cet exemple, la Suisse applique le règlement UE n° 883/2004. Le règlement de l'UE a pour but d'attribuer l'assujettissement aux assurances sociales à un seul Etat. Ensuite, le règlement de l'UE stipule qu'en cas de concurrence entre une activité indépendante et une activité salariée, c'est toujours le droit de l'Etat dans lequel la personne exerce une activité salariée qui s'applique. Monsieur Müller exerce une activité indépendante en Allemagne et une activité salariée (CA) en Suisse. En l'espèce, le règlement de l'UE attribue à la Suisse l'assujettissement aux assurances sociales de toutes les activités de Karsten Müller, même si ce dernier conserve son domicile en Allemagne et n'exerce pas son activité indépendante en Suisse. Cette réglementation s'appliquerait également si aucun honoraire n'était versé pour l'activité d'administrateur étranger.

La situation serait différente si monsieur Müller exerçait également une activité salariée en Allemagne - et ce pour au moins 25% du temps qu'il y passerait en chair et en os. Dans cette hypothèse, il y aurait concurrence entre deux activités salariées : l'assujettissement aux assurances sociales serait alors attribué à l'Etat de résidence, pour autant qu'une partie substantielle (≥ 25%) de l'activité y soit exercée.

Pense-bête pour les sociétés suisses:
-En cas d'engagement d'un CA résidant à l'étranger, se renseigner sur sa situation professionnelle exacte.
-S'informer sur les responsabilités en cas d'assujettissement aux assurances sociales dans l'autre pays.
-Après examen de la situation en matière d'assurances sociales, demander au CA une attestation précisant dans quel Etat les assurances sociales sont dues (A1 ou «Certificate of Coverage»).

Administratrice étrangère en provenance des Etats-Unis

Catherine Miller est citoyenne américaine et réside à New York. Chocolat SA souhaite la recruter comme membre étranger de son conseil d'administration. Catherine Miller est conseillère financière indépendante à New York et pose comme condition qu'elle ne soit pas assujettie aux assurances sociales en Suisse. Cette condition peut-elle être remplie?

Pour répondre à cette question dans le cadre des relations internationales, l'accord bilatéral entre la Suisse et les Etats-Unis doit être examiné. Cette convention contient une particularité qui s'applique à Catherine Miller : toute personne qui exerce une activité indépendante sur le territoire de l'un ou des deux Etats contractants et qui réside sur le territoire de l'un de ces deux Etats doit, quelle que soit sa nationalité, être assujettie uniquement à l'assurance sociale obligatoire en vigueur. Dans la situation présente, Catherine Miller restera assujettie aux assurances sociales des Etats-Unis. L'assujettissement aux assurances sociales des honoraires du CA selon le droit national américain reste à vérifier par Catherine Miller. En outre, il est recommandé à Chocolat SA de clarifier également s'il existe, en tant que société, d'éventuelles responsabilités en matière de cotisations aux assurances sociales.

Il faut encore souligner ici le contexte de cet accord bilatéral. Contrairement à celui de l'UE, cet accord est toujours considéré du point de vue de l'Etat de résidence pour la qualification de l'activité. Concrètement, cela signifie qu'une activité de conseil d'administration en Suisse peut en principe être qualifiée d'activité indépendante dans l'État de résidence (Etats-Unis), dans la mesure où cet Etat qualifie en principe une activité de conseil d'administration d'activité indépendante.

Administrateur étranger en provenance du Royaume-Uni

Depuis le Brexit, les questions de droit entre la Suisse et le Royaume-Uni ne sont plus réglées par le règlement de l'UE et doivent être examinées dans le cadre de la convention bilatérale provisoire de sécurité sociale entre la Suisse et le Royaume-Uni.

Brady Baker, citoyen britannique domicilié à Londres, est un agent immobilier salarié qui travaille pour une société immobilière pareillement domiciliée à Londres. Haus AG, domiciliée en Suisse, souhaite mandater Brady Baker en tant que membre étranger du conseil d'administration en raison de son expérience. En outre, Haus AG souhaite que Brady Baker soutienne également l'entreprise en tant qu'employé au cours des prochaines années. Brady Baker est prêt à quitter son emploi à Londres et à apporter son soutien à Haus AG en tant qu'employé et en tant que membre du CA. Monsieur Baker travaillera environ quatre jours par semaine en Suisse et un jour à Londres. Il sait par un ami qu'il devra payer des impôts sur son salaire et ses honoraires de membre du CA. Il aimerait cependant être au clair au niveau de son assujettissement aux assurances sociales.

Brady Baker exerce en principe deux activités salariées en Suisse, quand bien même il est autorisé à exercer une partie de son travail dans son Etat de résidence, le Royaume-Uni (activité dite « multi-états »). La convention bilatérale provisoire entre la Suisse et le Royaume-Uni définit que Baker doit être assujetti aux assurances sociales en Suisse s'il n'exerce pas une partie substantielle (≥ 25%) de son activité salariée dans son Etat de résidence, le Royaume-Uni. Baker travaille un jour par semaine à Londres, ce qui représente 20%, valeur inférieure au seuil légal.

Si Brady Baker exerçait par exemple son activité salariée cinq jours par semaine dans son pays de résidence, le Royaume-Uni, et se rendait en Suisse uniquement pour les réunions du conseil d'administration, l'assujettissement aux assurances sociales devrait être attribué au Royaume-Uni. Cela s'applique aussi bien au salaire qu'aux honoraires du CA. Dans une telle situation, il est recommandé à l'entreprise SA de se renseigner sur ses responsabilités en matière d'assurances sociales au Royaume-Uni et de prendre les mesures nécessaires.

En résumé, on peut dire que l'emploi d'un membre étranger du CA est un potentiellement instrument précieux en matière de croissance d'entreprise. Il est toutefois important d'examiner attentivement les implications fiscales et de sécurité sociale avant de faire appel à un administrateur étranger.

Devenir membre Newsletter