Inventions: Faites par le travailleur

Dans le droit du travail, plusieurs intersections existent avec le droit de la propriété intellectuelle. Les inventions, les designs ainsi que les œuvres littéraires et artistiques jouent notamment un rôle important dans les rapports de travail. Ces résultats du travail relèvent souvent du concept de propriété intellectuelle. Alors que l’article 321b, alinéa 2 du Code des obligations (CO) prévoit que le travailleur doit immédiatement remettre ce qu’il produit dans le cadre de ses activités contractuelles, certains résultats du travail sont soumis à des dispositions supplémentaires.

05/08/2025 De: Nicole Vögeli Galli
Inventions

Inventions et designs

Concernant les inventions et les designs (désignés ensemble ci-après par « inventions » et classés comme propriété intellectuelle), le législateur a opté pour une réglementation spécifique. L’article 332 du Code des obligations (CO) opère une distinction tant entre inventions et designs qu’entre, plus précisément, les inventions de service, les inventions occasionnelles et les inventions libres.

Les inventions répondent à des problèmes concrets à l’aide de moyens techniques. Il doit s’agir d’un produit ou d’un procédé nouveau, non évident et susceptible d’application industrielle1. Il n’est cependant pas nécessaire que l’invention soit brevetable. Cela découle de la formulation de l’article 332, alinéa 1 CO : « indépendamment de leur capacité à être protégées »2.

Les designs sont, selon l’article 1 de la loi sur la protection des designs (LDes), des créations portant sur des produits ou parties de produits, qui se caractérisent notamment par la disposition de lignes, de surfaces, de contours ou de couleurs, ou encore par le matériau utilisé.

Inventions de service versus inventions occasionnelles

L’article 332 du Code des obligations (CO) distingue, s’agissant des droits sur les inventions et designs, le contexte dans lequel ceux-ci ont été créés. Si l’invention est issue de l’exécution des tâches contractuelles du travailleur dans le cadre de son activité professionnelle (invention dite de service), les droits y relatifs appartiennent d’origine à l’employeur, sans qu’un acte de cession soit requis. Le droit de faire breveter une telle invention revient également à l’employeur selon l’article 3, alinéa 1 de la loi sur les brevets (LBI), tandis que le travailleur conserve un droit à la mention comme inventeur (art. 5 LBI). L’inventeur est toujours une personne physique. Le travailleur est tenu d’assister l’employeur dans la procédure de dépôt d’une invention de service (obligation de collaboration)3.

En revanche, les droits sur une invention appartiennent d’origine au travailleur si celle-ci n’a pas été réalisée dans l’exécution de ses obligations contractuelles, mais présente un lien objectif et matériel avec son activité professionnelle (invention dite occasionnelle)3. Dans ce cas, l’employeur peut néanmoins sécuriser les droits par une clause d’inventeur ou de designer (art. 332, al. 2 CO). Cette clause permet un transfert dérivé des droits à l’employeur. Elle doit être formulée par écrit et insérée dans le contrat de travail ; une mention dans un règlement du personnel serait insuffisante en raison de la règle de l’inhabituel applicable aux conditions générales (les règlements étant assimilés à de telles conditions)4.

Lorsqu’une invention occasionnelle est réalisée, le travailleur doit en informer par écrit l’employeur, conformément à l’article 332, alinéa 3 CO (cette obligation s’applique en pratique aussi pour les inventions de service, même si non prévue par la loi)5. L’employeur dispose ensuite de six mois pour notifier au travailleur s’il souhaite acquérir les droits ou les lui laisser. En présence d’une clause de réserve de disposition, les droits sont immédiatement transférés à l’employeur, sans acte de cession supplémentaire6. Si l’employeur exerce cette option, il doit verser une indemnité équitable au travailleur (art. 332, al. 4 CO). Cette obligation d’indemnisation est de droit impératif en faveur du travailleur. Les autres dispositions de l’article 332 CO sont de droit dispositif et peuvent donc être modifiées contractuellement, à condition de l’être par écrit7.

Les inventions de service ne donnent lieu à aucune rémunération supplémentaire, dès lors que leur création est déjà suffisamment prise en compte dans le salaire8. Contrairement aux dispositions spécifiques relatives aux inventions occasionnelles, aucune règle de rémunération n’a été prévue ici. Il appartient donc à l’employeur de prévenir les inégalités qui pourraient survenir, notamment lorsque celui-ci tire un avantage économique significatif d’une invention ou d’un design, sans rapport avec la rémunération versée au travailleur. Il peut pour cela accorder des gratifications, commissions ou autres formes de reconnaissance à titre volontaire9.

Inventions libres

Lorsqu’une invention ou un design est créé pendant la durée des rapports de travail, mais en dehors des obligations contractuelles et sans lien avec l’activité professionnelle, il s’agit d’une invention libre. Les droits y afférents naissent originellement dans le patrimoine du travailleur. Des clauses de réserve, au sens de l’article 332, alinéa 2 CO, permettant une cession à l’employeur, peuvent néanmoins être prévues, à condition de respecter l’article 27 du Code civil suisse (CC)10.

Il fait débat de savoir si, dans de tels cas, le travailleur est tenu, par analogie avec les inventions occasionnelles, d’en proposer l’acquisition à l’employeur. Tandis que Portmann11 et Andermatt12 répondent par l’affirmative, Streiff/Von Kaenel/Rudolph13 ainsi que Frank14 s’y opposent. Si l’on tient à distinguer clairement entre inventions libres et inventions occasionnelles, et compte tenu de l’éloignement par rapport au rapport de travail, il paraît logique d’exclure une telle obligation de proposition. Cela étant, au cas par cas, une telle obligation peut découler du devoir de fidélité prévu à l’article 321a, alinéa 1 CO.

Œuvres littéraires et artistiques

L’article 2 de la loi sur le droit d’auteur (LDA) définit les œuvres comme des créations intellectuelles de la littérature ou de l’art, présentant un caractère individuel. Contrairement aux inventions et aux designs, il n’existe pas de disposition légale spécifique pour les droits d’auteur sur les œuvres créées dans le cadre d’un rapport de travail. Une exception est prévue pour les programmes informatiques, dont les droits d’utilisation sont régis à l’article 17 LDA.

Selon le Tribunal fédéral, une empreinte personnelle de la part de l’auteur n’est pas nécessaire pour qu’une œuvre existe, mais l’œuvre doit présenter une individualité. Celle-ci dépend du degré de liberté créative. Si la marge de manœuvre du créateur est réduite, la protection par le droit d’auteur s’applique d’autant plus tôt. Une œuvre est qualifiée d’individuelle lorsque l’auteur fait preuve de nombreuses décisions personnelles, crée des combinaisons inattendues ou originales, et qu’un tiers, placé dans la même situation, aurait sans aucun doute produit une œuvre différente15.

À l’image des inventions et des designs, on peut distinguer, parmi les œuvres, celles créées dans le cadre d’un rapport de travail (œuvres de service), celles qui présentent un lien indirect (œuvres occasionnelles) et les œuvres totalement indépendantes (œuvres libres), ces dernières étant réalisées sans intégration dans l’organisation de travail de l’employeur16.

Droits relatifs aux œuvres de service, occasionnelles ou libres

Selon le principe du créateur, seul la personne physique ayant créé l’œuvre peut être reconnue comme auteur ou autrice (art. 6 LDA)¹⁷. Contrairement à la situation applicable aux inventions ou aux designs, l’existence d’un contrat de travail ne prive donc pas le travailleur de la qualité d’auteur. Il s’agit là d’une exception au principe posé à l’article 321b, alinéa 2 CO, selon lequel les résultats du travail reviennent automatiquement à l’employeur17.

L’employeur ne peut ainsi acquérir les droits sur une œuvre que de manière dérivée, en principe par une cession écrite conforme à l’article 16, alinéa 1 LDA. Dans certains cas, une disposition anticipée est admise, fondée sur les déclarations de volonté exprimées par les parties lors de la conclusion du contrat de travail. En vertu du principe de la confiance, on considère alors que les droits sur les œuvres créées dans l’exécution des tâches contractuelles sont transmis à l’employeur à titre dérivé18.

Propriété intellectuelle – Inventions, designs et œuvres en pratique

Lorsqu’il s’agit de qualifier les résultats d’un travail, les questions suivantes doivent être posées : le produit concerné constitue-t-il une invention, un design ou une œuvre ? Et si tel est le cas, à qui appartiennent les droits – notamment en matière de propriété intellectuelle ?

Concepts de sécurité d’une entreprise

Les concepts de sécurité ne peuvent être qualifiés ni d’inventions ni de designs. Un design suppose une création formelle et une invention, un produit ou procédé non évident, ce qui ne s’applique manifestement pas aux concepts de sécurité. Toutefois, ces derniers étant généralement rédigés, il pourrait s’agir d’œuvres au sens de l’article 2, alinéa 2, lettre a de la loi sur le droit d’auteur (LDA).

En raison des exigences légales en matière de protection de la santé et de prévention des accidents, il est toutefois difficile de considérer un concept de sécurité comme une œuvre présentant des combinaisons surprenantes ou originales, qu’un autre salarié, placé dans une situation identique, n’aurait pas pu concevoir de manière identique. Surtout dans un même secteur d’activité, les concepts de sécurité contiennent souvent des éléments similaires, voire quasi identiques. Même si l’exigence d’individualité peut être abaissée en raison de la faible marge de créativité, le fait que ces concepts ne font que transposer des prescriptions légales à un contexte d’entreprise spécifique reste prépondérant. Un concept de sécurité ne constitue donc pas, en principe, un objet protégé par le droit de la propriété intellectuelle. Exceptionnellement, une appréciation différente pourrait s’imposer, par exemple pour un concept de sécurité conçu pour un type de manifestation totalement inédit.

Nouvelle recette créée par un employé de restaurant

Le droit d’auteur ne protège pas les idées. Les systèmes, théories scientifiques, règles techniques et méthodes – ce qui inclut également les recettes de cuisine – ne relèvent pas de sa protection19. Une recette peut toutefois être considérée comme une invention, à condition qu’elle soit nouvelle, non évidente et susceptible d’application industrielle20. Pour les recettes culinaires, ces critères constituent un seuil relativement élevé.

Si le caractère inventif est reconnu, il convient d’examiner les obligations contractuelles de la personne ayant conçu la recette. Si le développement de recettes fait partie de ses tâches, on est en présence d’une invention de service. En l’absence de tout lien avec les obligations contractuelles, il s’agit d’une invention libre. Cela étant, chez les cuisiniers et cuisinières, un tel lien avec les tâches convenues existe souvent, même si la création de nouvelles recettes n’est pas explicitement prévue dans le contrat. Dès lors, une recette est au minimum à considérer comme une invention occasionnelle.

Formulation-type pour contrat de travail

Droits sur les résultats du travail

  1. Tous les résultats du travail créés par les collaborateurs, seuls, en partie ou en collaboration, dans le cadre de leur activité professionnelle et en exécution de leurs obligations contractuelles – tels que les logiciels et la documentation afférente, les analyses, les esquisses, ainsi que les technologies, etc. – appartiennent exclusivement à l’employeuse. Elle détient notamment l’ensemble des droits de brevet, d’auteur, de design, de marque, de protection des prestations et de topographie, y compris tous les droits d’utilisation, notamment le droit de modification et de développement ultérieur.
  2. Dans la mesure où la cession de ces droits nécessite un acte de transfert, le collaborateur déclare avoir consenti à cette cession de manière anticipée, et ce, pour tous les types d’utilisation présents ou futurs. Il renonce à être mentionné comme auteur ou inventeur. Cette cession inclut, sans droit à une rémunération complémentaire, également les droits sur les résultats du travail créés dans le cadre de l’activité professionnelle du collaborateur mais non en exécution de ses obligations contractuelles.
  3. Le droit à une indemnité légale pour les œuvres occasionnelles (brevets et designs) reste réservé.
  4. Les collaborateurs sont tenus de proposer à l’employeuse toute invention, design, logiciel ou autre résultat du travail, même lorsqu’ils n’ont pas été réalisés dans l’exercice de leur activité professionnelle ni dans l’accomplissement de leurs tâches contractuelles, pour autant que ces résultats puissent influencer la position sur le marché de l’employeuse ou présentent un intérêt pour celle-ci en raison de son domaine d’activité. À cet égard, les articles 332, alinéas 3 et 4 du Code des obligations (CO) sont applicables.

Notes de bas de page

1 Eidgenössisches Institut für Geistiges Eigentum, Was ist eine Erfindung?, https://www.ige.ch/de/etwas-schuetzen/patente/grundlegendes/was-ist-eine-erfindung.html, consulté le 23.04.2025.

2 Portmann, Wolfgang / Rudolph, Roger, commentaire de l’art. 322 CO, in : Widmer Lüchinger/Oser (éd.), Basler Kommentar Obligationenrecht I, 7e éd., Bâle 2020, n° 3.

3 TF 4A_688/2014 du 15.04.2015.

3 Portmann, Wolfgang / Rudolph, Roger, op. cit., n° 9.

4 Andermatt, Adrian, Die arbeitsrechtliche Zuordnung von immaterialgüterrechtlich geschützten Arbeitsergebnissen, in : SJZ 104/2008, p. 285 ss, p. 288.

5 Mosimann, Peter / Graf, Thomas, Arbeitnehmererfindungen, in : Bertschinger/Münch/Geiser (éd.), Schweizerisches und europäisches Patentrecht, Bâle 2002, n° 969.

6 Streiff, Ullin / von Kaenel, Adrian / Rudolph, Roger, Arbeitsvertrag: Praxiskommentar zu Art. 319–362 OR, 7e éd., Zurich 2021, art. 332 n° 13.

7 Art. 361 ss CO, par interprétation a contrario.

8 Message du Conseil fédéral, BBI 1967 II 365.

9 Portmann, Wolfgang, Die Arbeitnehmererfindung, thèse de doctorat, Berne 1986, p. 77.

10 Andermatt, Adrian, op. cit., p. 285 ss, p. 290.

11 Portmann, Wolfgang / Rudolph, Roger, op. cit., n° 13.

12 Andermatt, Adrian, op. cit., p. 285 ss, p. 290.

13 Streiff, Ullin / von Kaenel, Adrian / Rudolph, Roger, op. cit., art. 332 n° 18.

14 Emmel, Frank, commentaire de l’art. 332 CO, in : Hochstrasser / Huber-Putschert / Maissen (éd.), CHK – Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, 4e éd., Zurich 2023, n° 3.

15 Voir ATF 136 III 225, consid. 4.2.

16 Andermatt, Adrian, op. cit., p. 285 ss, p. 291.

17 TF 4A_527/2021 du 17.02.2022, consid. 4.1.

17 Tribunal de commerce du canton de Berne, jugement du 17.06.2015, in : JAR 2016, p. 429 ss.

18 Andermatt, Adrian, op. cit., p. 285 ss, p. 290.

19 Cherpillod, Ivan, commentaire de l’art. 2 LDA, in : Müller / Oertli (éd.), SHK – Stämpflis Handkommentar URG, 2e éd., Berne 2012, n° 14 et 36.

20 Tribunal fédéral des brevets, jugement O2016_001 du 27.06.2019, consid. 39, confirmé par TF 4A_420/2019 du 13.05.2020.

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