Conflits au travail: Prévention et devoir de protection

Aides de travail appropriées
Conflits au travail
Les conflits au travail peuvent survenir aussi bien entre collaborateurs qu’entre collaborateurs et supérieurs hiérarchiques. Il peut s’agir de simples désaccords jusqu’à de véritables cas de mobbing, de bossing, de harcèlement (sexuel) ou de discrimination.
Les conflits trouvent souvent leur origine dans une violation de l’obligation de fidélité (art. 321a CO). Font typiquement partie de ces violations les comportements illicites ou déplacés envers l’employeur, ses collaborateurs ou ses clients, l’atteinte à la réputation de l’entreprise, l’exécution d’un travail pour un tiers, ou encore la violation de l’obligation de confidentialité.
Les véritables conflits ont en tout état de cause des répercussions négatives tant sur les collaborateurs que sur l’employeur (climat de travail dégradé, atteintes potentielles à la santé des collaborateurs, réputation de l’entreprise, procédures judiciaires longues et coûteuses, etc.). Rien que pour ces raisons, la mise en place d’une gestion (préventive) des conflits au sein de l’entreprise apparaît comme judicieuse, et s’impose même, dans une certaine mesure, comme une obligation.
Obligation de protection de l’employeur et gestion interne des conflits
Selon l’art. 328 CO, l’employeur a l’obligation de respecter et de protéger la personnalité des collaborateurs et de veiller de manière appropriée à leur santé. Il doit à ce titre prendre toutes les mesures nécessaires, applicables selon l’état de la technique et raisonnablement exigibles, pour protéger la vie, la santé et l’intégrité personnelle des collaborateurs. Des obligations équivalentes sont également prévues à l’art. 6 de la loi sur le travail (LTr).
Le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) énonce, dans sa brochure « Mobbing et autres formes de harcèlement – Protection de l’intégrité personnelle », les mesures suivantes visant à protéger les collaborateurs :
- Sensibilisation du personnel : les collaborateurs doivent clairement savoir quels comportements sont attendus et lesquels ne seront pas tolérés.
- Formation des cadres : les supérieurs doivent être sensibilisés non seulement aux atteintes potentielles à la personnalité, mais également à un style de conduite axé sur le soutien et à une communication claire, car ces éléments influencent fortement l’organisation du travail et le climat dans l’entreprise.
- Directive écrite : une directive écrite doit inclure une déclaration de principe définissant les comportements inacceptables, ainsi que les démarches à entreprendre en cas de problème. Idéalement, les collaborateurs sont associés à son élaboration.
- Règlement concernant la procédure en cas de problème et/ou mise en place d’un point de contact interne ou externe confidentiel : ce règlement doit définir les possibilités d’action, les offres de soutien et les obligations en cas d’atteinte à l’intégrité personnelle, ainsi que les conséquences éventuelles. La personne de confiance doit disposer d’une formation adéquate et faire preuve de discrétion (devoir de confidentialité). Elle doit en outre être en mesure d’adopter une position indépendante et autonome.
Grâce à ces mesures, les conflits au travail peuvent souvent être évités ou, à tout le moins, gérés de manière plus efficace.
En cas de conflit, la jurisprudence du Tribunal fédéral impose à l’employeur l’obligation d’au moins tenter de désamorcer le conflit, voire de le résoudre idéalement. Les mesures envisageables incluent notamment : des entretiens (internes ou avec des intervenants externes), des tentatives de conciliation, un coaching, la mise en place de règles de comportement ou d’objectifs contractuels, l’émission de directives, des mutations internes, des adaptations dans l’organisation du travail, des avertissements, voire en dernière instance la résiliation du contrat.
L’employeur dispose à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation, et les mesures doivent être adaptées à chaque situation particulière. Dans ce contexte, toute entreprise devrait disposer d’un système de gestion de la performance efficace et surtout d’un dispositif de gestion (préventive) des conflits au travail.
Outre la sensibilisation des collaborateurs, la formation des cadres, les directives internes, les règlements et la mise en place d’un point de contact (cf. ci-dessus), les prestations et le comportement des collaborateurs doivent être évalués et documentés régulièrement et de manière transparente. En pratique, cela se fait généralement dans le cadre d’entretiens annuels d’évaluation. Ces entretiens offrent également aux collaborateurs la possibilité d’exprimer les éventuels problèmes qu’ils perçoivent. Une communication ouverte et honnête constitue de manière générale un outil efficace pour identifier précocement les conflits potentiels et, dans la mesure du possible, les désamorcer dès leur apparition.
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Conflit avéré ? Établissement et clarification des faits pertinents
Dans une situation de conflit, l’établissement des faits pertinents constitue en principe la première étape et revêt donc une importance majeure. Les employeurs sont de plus en plus amenés à mener ce que l’on appelle des enquêtes internes. Celles-ci peuvent aller d’entretiens avec des collaborateurs jusqu’à la sécurisation et l’analyse de données électroniques, notamment d’e-mails. Les dispositions légales pertinentes en matière de droit du travail et de protection des données doivent impérativement être respectées.
Une enquête interne doit toujours être menée par une entité indépendante. Pour les conflits limités et ne concernant pas l’ensemble de l’entreprise (en particulier la direction), cette entité est en général constituée par les RH, le service juridique ou un autre point de contact interne désigné à cet effet. Dans les cas délicats ou complexes, le recours à une entité externe peut s’avérer indispensable.
Lors d’auditions de collaborateurs, il convient de les informer qu’ils sont, en vertu de leur obligation de fidélité, tenus de faire des déclarations véridiques sur les faits en lien avec leur activité professionnelle. Il convient également de leur signaler qu’ils ne sont pas tenus de s’auto-incriminer. À défaut de cette information, les auditions pourraient ne pas être recevables dans le cadre d’une procédure civile, voire pénale (même si le Tribunal fédéral a précisé récemment qu’une enquête interne n’a pas à respecter les règles du code de procédure pénale).
Si l’enquête interne implique la sécurisation de données électroniques, les points suivants doivent être observés : il est préférable que les collaborateurs soient informés au préalable (via un règlement interne, une directive ou une déclaration de protection des données, par exemple) que l’employeur peut accéder à certaines données professionnelles dans certaines circonstances. À défaut, une information explicite préalable à l’enquête s’impose.
Les démarches entreprises dans le cadre d’une telle enquête interne, ainsi que les résultats obtenus, doivent impérativement être documentés de manière claire et écrite.
Une gestion rigoureuse de cette étape permet aux employeurs de mieux comprendre la situation et de définir ensuite les mesures appropriées pour résoudre les conflits au travail de manière fondée.
Le constat est établi : quelle suite donner ?
Une fois les faits établis et une violation d’obligation (à l’origine du conflit) identifiée, plusieurs options s’offrent à l’employeur, en fonction de la nature et de la gravité des manquements. En général, l’employeur met en œuvre – après d’éventuelles mesures de conciliation (voir ci-dessous) – des mesures disciplinaires. Celles-ci peuvent aller d’un simple rappel ou avertissement (reproche d’un comportement contractuellement inadéquat sans autre conséquence), à un blâme, voire à un licenciement (avec ou sans effet immédiat).
Le blâme vise à sanctionner un comportement fautif du collaborateur et s’accompagne d’une menace explicite de sanction en cas de récidive (le plus souvent un licenciement immédiat). Tant le blâme que la menace de sanction doivent être exprimés de manière claire, explicite et, en principe, écrite à des fins de preuve. Le collaborateur concerné doit comprendre, à la lecture du blâme, quel comportement ne sera plus toléré et quelles conséquences toute récidive entraînera.
Il est également possible de prononcer directement un licenciement. Bien que le principe de la liberté de résiliation s’applique en Suisse, il convient de faire preuve de prudence lorsqu’un licenciement survient dans un contexte conflictuel (ce qu’on appelle un licenciement de conflit). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un tel licenciement est considéré comme abusif lorsque l’employeur se contente de congédier une partie au conflit sans autre démarche. Il est donc tenu, préalablement, de prendre toutes les mesures nécessaires, raisonnables et proportionnées visant à apaiser le conflit (sauf si leur inefficacité est d’emblée manifeste). Ces mesures peuvent être aussi bien disciplinaires que conciliantes. Le choix dépend de la situation concrète et de la nature du conflit, mais elles doivent dans tous les cas être propres à résoudre ou au moins à atténuer les conflits au travail.
Un licenciement immédiat ne peut être justifié que si le comportement fautif est d’une gravité telle qu’il n’est plus raisonnable d’exiger la poursuite du contrat de travail (art. 337 CO). C’est généralement le cas lors de la commission d’une infraction sur le lieu de travail ou d’une atteinte très grave à l’obligation de fidélité – mais non pour de simples conflits entre collaborateurs ou avec la hiérarchie. Le licenciement immédiat doit en outre être notifié sans délai. À défaut, il sera considéré comme injustifié et pourra ouvrir droit à des prétentions du collaborateur (dommages-intérêts correspondant au salaire durant le délai de résiliation ordinaire et indemnité pouvant aller jusqu’à six mois de salaire ; art. 337c CO).
En cas de violation des obligations contractuelles ou de l’obligation de fidélité ayant entraîné un dommage, l’employeur peut, dans certains cas, retenir le salaire ou compenser le dommage avec celui-ci. Toutefois, en l’absence de faute intentionnelle, le minimum vital doit impérativement être respecté (art. 323b CO).
Conclusion
Ce cadre légal strict, associé aux risques juridiques élevés, illustre combien il est essentiel pour les employeurs de disposer de procédures internes claires pour réagir rapidement et de manière appropriée aux situations de tension. Afin de prévenir autant que possible les conflits au travail, et en application de leur obligation de protection, les employeurs doivent impérativement mettre en place une gestion préventive des conflits efficace. Bien qu’il soit impossible d’éviter totalement les tensions au sein d’une entreprise, une telle approche permet au moins d’en limiter l’apparition et l’intensité.