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Principe de déterminance: Entre droit comptable et fiscalité

Le principe de déterminance établit le lien entre le droit comptable suisse et la détermination du bénéfice imposable. Il garantit que les comptes annuels sont également déterminants à des fins fiscales. Le présent article met en lumière les aspects essentiels de ce principe comme élément de connexion entre la comptabilité commerciale et le droit fiscal en Suisse.

21/05/2025 De: Thomas Rautenstrauch
Principe-de-déterminance

Introduction

Une fois le résultat comptable établi dans les comptes annuels selon le droit comptable suisse, la question de la détermination du bénéfice fiscal se pose pour les entreprises. Trois approches fondamentales existent:

  1. Le droit fiscal accepte le résultat comptable comme base du bénéfice imposable. La fonction de base pour l’établissement de plusieurs impôts est remplie
  2. Le droit fiscal ignore complètement le résultat comptable et exige un bilan fiscal propre
  3. Le droit fiscal s’aligne globalement sur le droit comptable, tout en appliquant des règles spécifiques pour calculer le bénéfice fiscal

Le droit comptable suisse actuel continue de s’appuyer sur cette troisième voie: il maintient le principe de déterminance. Le bilan établi selon le Code des obligations (CO) sert ainsi de base au calcul et à la taxation de l’impôt. Conformément à l’art. 125 al. 2 let. a LIFD, les indépendants comme les personnes morales doivent joindre les comptes annuels à leur déclaration d’impôt.

Cela constitue une différence fondamentale par rapport aux normes comptables reconnues, qui visent une image fidèle (True and Fair View) — objectif peu compatible avec la possibilité de constituer des réserves latentes. Cette relation particulière entre droit comptable suisse et fiscalité est aussi pertinente pour les investisseurs souhaitant optimiser la charge fiscale, puisqu’une telle stratégie doit commencer dès les comptes annuels établis selon le CO.

Dans le contexte du droit comptable suisse, l’optimisation fiscale repose en grande partie sur la constitution ou la dissolution de réserves latentes. Cela conduit souvent les grandes entreprises à fournir une double information comptable: une première à but fiscal (selon le CO), et une seconde à visée économique selon une norme reconnue, orientée vers les investisseurs. À titre de comparaison, certains pays comme les États-Unis appliquent traditionnellement un système dit de la «double comptabilité» (Two-Book-Accounting-System), dans lequel les résultats comptables et fiscaux sont établis séparément.

Dispositions clés du droit comptable suisse

Le droit comptable suisse continue à mettre au premier plan la protection des créanciers, incarnée notamment par le principe de prudence. Les destinataires et objectifs d’un bilan commercial diffèrent sensiblement de ceux d’un bilan fiscal.

En Suisse, ce n’est pas la forme juridique mais la taille économique de l’entreprise qui détermine les obligations comptables à respecter. Le droit comptable est influencé par le principe de prudence et les règles de surévaluation maximale, en cohérence avec son objectif principal: la sécurité des créanciers.

Le droit suisse impose, dans certains cas, l’établissement d’un compte selon une norme reconnue, comme l’IFRS, l’US GAAP ou le Swiss GAAP RPC. Ces normes suivent toutes le principe de la présentation fidèle (Fair Presentation). Un tel compte complémentaire, au sens de l’art. 962 CO, est obligatoire notamment pour:

  1. Les sociétés cotées en Bourse, lorsque l’exigence provient du marché
  2. Les coopératives comptant au moins 2000 sociétaires
  3. Les fondations soumises par la loi à une révision ordinaire

Contrairement au droit comptable ou au droit de la présentation des comptes, le droit fiscal suisse vise à refléter la situation économique de manière aussi fidèle que possible à la réalité. Il s'agit ainsi de garantir la justice fiscale, l’égalité de traitement et une imposition conforme à la capacité contributive.

Relations entre droit comptable et droit fiscal

L’analyse de la relation entre le droit de la présentation des comptes et le droit fiscal soulève deux notions fondamentales: la déterminance directe (principe de déterminance) et la déterminance inversée, qui seront examinées ci-après.

Déterminance directe (principe de déterminance)

Selon le droit comptable suisse en vigueur, le bilan légal sert de base pour déterminer les assiettes fiscales du bénéfice et du capital des entreprises assujetties à l’impôt en Suisse. Ce principe, appelé principe de déterminance, n’admet de dérogations que lorsque des règles correctives spécifiques du droit fiscal prévalent sur les dispositions du Code des obligations. Cela concerne par exemple les amortissements, provisions pour pertes sur débiteurs ou autres charges, lorsque ces montants dépassent les limites maximales fixées par l’administration fiscale ou ne reposent pas sur des motifs économiquement justifiables.

Ce principe de déterminance est un fondement codifié et central du droit fiscal suisse. Il reste en vigueur malgré l’introduction du nouveau droit comptable. En vertu de ce principe, le bilan commercial constitue la base de la détermination du bénéfice imposable. Toutefois, la fiscalité prévoit parfois des règles d’évaluation divergentes pour les actifs et les passifs, pouvant générer des écarts entre le bilan comptable et le bilan fiscal.

Concrètement, dans le cadre de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur le bénéfice, l’imposition repose sur les revenus ou le bénéfice net. Pour déterminer ces montants, on se réfère au droit comptable (art. 58 al. 1 let. a LIFD, dit principe de déterminance). Une dérogation n’est possible que si elle est explicitement prévue par le droit fiscal. L’article 58 al. 1 LIFD stipule que le bénéfice net imposable est constitué du solde du compte de résultat, corrigé des charges non justifiées économiquement et des produits non enregistrés dans ledit compte.

Tant que le droit fiscal ne prévoit pas d’écart, ce sont les principes comptables reconnus qui s’appliquent (déterminance matérielle). Ainsi, l’administration fiscale ne peut ni exiger des écritures interdites par le droit comptable, ni ignorer celles que ce dernier impose, sauf disposition corrective spécifique. De son côté, le contribuable ne peut faire valoir fiscalement une charge ou un produit qu’il n’a pas inscrit dans ses comptes établis selon les règles de la comptabilité commerciale. En fiscalité, seules les écritures effectivement comptabilisées dans le compte de résultat sont juridiquement pertinentes.

Exceptions au principe de déterminance

En principe, une entreprise doit informer les lecteurs de ses comptes, par le biais de l’annexe aux états financiers, de toute correction fiscale non admise — telles que les amortissements, ajustements de valeur ou provisions refusés — autrement dit, des réserves latentes imposées. Ces dernières résultent d’une sous-évaluation ou d’une surévaluation comptable des actifs ou des passifs, sans que leur constitution soit explicitement visible au bilan ou dans le compte de résultat. Elles représentent donc des éléments invisibles du patrimoine net de la société.

L’article 58 al. 1 let. b LIFD constitue une exception importante au principe de déterminance. Il autorise la réintégration dans le bénéfice imposable des charges non justifiées économiquement. Seules sont fiscalement déductibles les charges ayant un lien direct ou indirect avec l’activité commerciale de l’entreprise. Par ailleurs, l’art. 63 al. 2 LIFD, contrairement à l’art. 960e al. 4 CO, impose la dissolution des provisions devenues injustifiées.

Peu importe que cette réintégration soit effectuée par l’administration fiscale dans le cadre de l’évaluation ou directement par l’entreprise dans sa déclaration d’impôt.

Lors de la dernière révision du droit comptable dans le Code des obligations, la question de savoir si les réintégrations fiscales devaient être reproduites dans les comptes statutaires (principe de la déterminance inversée) a été largement débattue. Il a finalement été décidé de renoncer à imposer cette traçabilité dans les états financiers commerciaux. Cette décision renforce la lisibilité du bilan statutaire, car celui-ci n’est plus altéré par des corrections fiscales spécifiques. En complément, l’exception au principe de déterminance peut aussi être interprétée à la lumière du principe de la bonne foi.

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