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Service de piquet: Quelles règles lui appliquer en droit du travail?

Si le service de piquet est usuel dans le domaine médical, de plus en plus d’entreprises offrent aujourd’hui un service 7/7 et 24/24 à leur clientèle, pour assurer un dépannage ou faire face à des situations d’urgence. De tels services sont relativement fréquents dans les domaines de l’informatique et/ou de l’économie digitale. Un tel service, qui met en œuvre une disponibilité permanente de l’entreprise, pose de multiples questions en droit du travail, en relation par exemple avec la durée du travail ou la rémunération de la disponibilité.

09/03/2021 De: Marie-Gisèle Danthe
Service de piquet

Définition du service de piquet

En droit suisse, le droit privé du travail ne connaît pas la notion de service de piquet. Dans la mesure où ce système de temps de travail implique une disponibilité étendue et très large des collaborateurs, c’est la législation de droit public du travail, destinée à protéger les travailleurs, qui régit le service de piquet. Aux termes de l’art. 14 al. 1 OLT1 1, est réputé service de piquet le temps pendant lequel le travailleur se tient, en sus du travail habituel, prêt à intervenir, le cas échéant, pour remédier à des perturbations, porter secours en cas de situations d’urgence, effectuer des visites de contrôle ou faire face à d’autres situations particulières analogues. Cette définition met en avant d’une part que le service de piquet s’effectue en plus de l’activité ordinaire, d’autre part qu’il est accompli en vue de parer à des urgences ou à des perturbations, soit pour faire face à des situations exceptionnelles.

La planification du service de piquet par l’employeur doit respecter des règles précises. Dans les relations de travail avec les collaborateurs, les questions relatives à la comptabilisation du service de piquet comme temps de travail ou à la rémunération du temps mis à disposition par le personnel doivent être clarifiées, afin d’éviter d’éventuelles mauvaises surprises.

Planification du service de piquet

Les al. 2 à 4 de l’art. 14 OLT1 prévoient des règles de planification concernant le service de piquet. Au moment d’instaurer un tel service, l’employeur doit donc se référer à ces dispositions, qui prescrivent une planification du service de piquet par période de quatre semaines. Dans cette période, le piquet doit être organisé de telle manière que le temps consacré à ce service ne dépasse pas sept jours (consécutifs ou non) sur quatre semaines, étant précisé que le travailleur ne peut être affecté à aucun service de piquet au cours des deux semaines consécutives à son dernier service de piquet (art. 14 al. 2 OLT1). Une dérogation à ces principes est possible pour les entreprises dont la taille et la structure ne permettent pas de disposer des ressources nécessaires en personnel, qui peuvent prévoir un maximum de quatorze jours de piquet par période de quatre semaines, pour autant que le nombre d’interventions effectuées pendant le piquet n’excède pas cinq par mois en moyenne par année civile (art. 14 al 3 OLT1). Malgré cet assouplissement, il est en tous les cas évident que le service de piquet ne peut pas être assuré en permanence par un seul et unique collaborateur, même si ce dernier se porte volontaire.

Il arrive que le service de piquet doive être assuré de nuit ou le dimanche. Dans cette hypothèse, l’employeur est tenu de requérir auprès des autorités compétentes un permis concernant la durée du travail, sauf s’il s’agit de circonstances exceptionnelles (art. 26 OLT1) ou s’il s’agit d’une entreprise où le travail de nuit ou du dimanche n’est pas soumis à autorisation (OLT2).

Lorsqu’il met en œuvre un service de piquet, l’employeur doit donc s’assurer de planifier le service par période de quatre semaines et de respecter le nombre maximum de jours de piquet autorisés par l’art. 14 OLT1. Il doit également veiller à disposer des autorisations nécessaires en matière de durée du travail.

Comptabilisation du service de piquet dans la durée du travail

Une des difficultés liées au service de piquet réside dans la manière dont il faut comptabiliser le temps mis à disposition par le collaborateur dans la durée du travail.

A cet égard, l’art. 15 OLT 1 distingue entre le service de piquet effectué dans l’entreprise et le service de piquet effectué en dehors de l’entreprise. Si le service de piquet est effectué dans l’entreprise, l’intégralité du temps mis à la disposition de l’employeur compte comme durée du travail (art. 15 al.1 OLT1), ce qui peut avoir une incidence considérable sur le nombre d’heures de travail, voire d’heures supplémentaires ou de travail supplémentaire effectué, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent en matière de compensation. En revanche, si le service de piquet est effectué en dehors de l’entreprise, le temps consacré au service de piquet ne compte comme durée du travail que dans la mesure de l’activité effectivement déployée pour l’employeur, y compris le trajet pour se rendre sur le lieu de travail et en revenir (art. 15 al. 2 OLT1), ce qui réduit de manière notable le risque pour l’employeur de se voir exposé à une réclamation liée à des heures supplémentaires pendant le service de piquet.

Même si l’art. 15 OLT1 ne précise pas le délai d’intervention, il est généralement admis que lorsque le service de piquet exige qu’il intervienne dans un délai extrêmement bref (par ex. 15 minutes après l’appel), le travailleur n’est pratiquement pas en mesure de quitter l’entreprise et ne peut donc pas profiter de ses loisirs. Dans de telles situations, il faudra prendre en considération toutes les circonstances du service de piquet afin de décider si tout le temps consacré au piquet doit être compté dans la durée du travail ou si seules les interventions vont l’être. Pour des situations extrêmes, l’employeur pourrait courir le risque que le service de piquet effectué hors entreprise soit requalifié en service de piquet en entreprise, avec pour conséquence que l’intégralité du temps mis à disposition de l’employeur compte comme durée du travail. Afin d’éviter cet écueil, on ne peut que recommander aux employeurs de veiller à prévoir un délai d’intervention suffisamment long lors de la mise en place du service de piquet (20 à 30 minutes au minimum).

Pour les hôpitaux et les cliniques, l’art. 8a OLT2 2, en vigueur depuis le 1er janvier 2010, précise la notion de délai d’intervention. Aux termes de cette disposition, dans le cadre d’un service de piquet, le délai entre la convocation du travailleur et son arrivée sur le lieu de travail (délai d’intervention) doit, en principe, être d’une durée minimum de 30 minutes. Si, pour des raisons impérieuses (techniques ou organisationnelles uniquement), ce délai est plus court, le travailleur a droit à une compensation en temps équivalant à 10 % de la durée de la période inactive du service de piquet. La période inactive se définit comme le temps consacré au service de piquet, en dehors des interventions et du temps de trajet pour se rendre sur le lieu de travail et en revenir. Pour illustrer cette règle, on peut donner l’exemple de calcul suivant : le service de piquet s’étend de 19h00 à 7h00 (12 heures), le collaborateur doit effectuer une intervention d’une durée de 1h20 et le trajet aller/retour dure 40 minutes. La période inactive du service de piquet est de 10 heures (12 heures – 1h20 – 40 minutes) et le collaborateur a donc droit à une compensation en temps de 10 %, soit d’une heure. Quant à la durée effective de l’intervention et le temps de trajet, ils comptent bien évidemment comme temps de travail. Enfin, si le délai d’intervention très bref oblige le collaborateur à rester sur son lieu de travail, l’intégralité du temps de piquet compte comme durée du travail, conformément à ce que prévoit l’art. 15 OLT1.

Lors de la mise en place d’un service de piquet, il est généralement indiqué de prévoir un temps d’intervention suffisant (l’idéal est 30 minutes) pour éviter que le piquet hors entreprise puisse être requalifié en piquet dans l’entreprise, avec toutes les conséquences que cela implique en matière de calcul de la durée du travail 3.

Rémunération du service de piquet

La loi fédérale sur le travail et ses ordonnances d’application ont pour objet la protection des travailleurs et plus particulièrement les répercussions du travail sur la santé. C’est la raison pour laquelle, elles ne traitent pas la question de la rémunération du service de piquet. Cette rémunération relève dès lors exclusivement du Code des obligations et des principes dégagés par la jurisprudence du Tribunal fédéral.

Dans un arrêt de principe du 6 mai 19984, le Tribunal fédéral a considéré que le travail à rémunérer, au sens de l’art. 319 CO, s’entend de toute occupation humaine qui tend, de manière planifiée, à la satisfaction d’un besoin. Il ne s’agit pas nécessairement d’un comportement actif. Lorsque le collaborateur se tient, même à l’extérieur de l’entreprise, prêt à fournir sa prestation, cette seule disponibilité à travailler contribue à la satisfaction des besoins de l’employeur. Rendu dans une affaire de travail sur appel, cette décision admet que la disponibilité (Bereitschaftsdienst) est une prestation de travail et ne se conçoit que contre rétribution. Le résumé de l’arrêt qui figure en préambule fait référence à l’indemnisation du service de piquet accompli hors de l’entreprise, ce qui laisse à penser que la solution vaut tant pour le travail sur appel que pour le service de piquet. La disponibilité externe ne doit pas forcément être rémunérée au même tarif que l’activité principale. L’indemnité liée à la disponibilité peut donc être inférieure au taux de salaire de base et le contrat de travail peut même prévoir que cette indemnisation est intégrée dans le taux de salaire pour l’activité principale.

Par la suite, notre Haute Cour a, semble-t-il, opéré une distinction entre le travail sur appel et le service de piquet. Le Tribunal fédéral a ainsi nuancé sa jurisprudence, en admettant que lorsque le travailleur de piquet n’est pas tenu de rester dans l’entreprise, le temps d’attente doit être rémunéré seulement lorsque le piquet a pour conséquence d’entraver le travailleur dans la jouissance de son temps libre, ce qui est notamment le cas lorsqu’il doit se tenir prêt à intervenir à bref délai 5. Cette jurisprudence a encore été précisée dans un arrêt du 4 octobre 2017, dans lequel le Tribunal fédéral a indiqué qu’une suppression totale de l’indemnisation du temps d’attente n’est pas licite pour le travail sur appel. Il a alors distingué le service de piquet du travail sur appel en rappelant que le piquet s’ajoute à une prestation principale régulière de travail et que ce service n’ouvre pas obligatoirement droit à indemnisation s’il ne limite pas la liberté du travailleur. Notre Haute Cour a toutefois laissé ouverte la question de savoir si cette jurisprudence devait être maintenue 6.

Dans une décision rendue à la fin de l’année 20177, le Tribunal fédéral a toutefois maintenu ces principes. Il a tout d’abord rappelé que si le service de piquet ou de garde est assuré dans l’entreprise, il constitue une prestation de travail et donne lieu à rémunération, peu importe dans cette hypothèse que le travailleur ait eu ou non à intervenir concrètement, ni qu’il ait disposé de son temps de repos pendant sa permanence. En revanche, lorsque le travailleur de piquet n’est pas tenu de rester dans l’entreprise, sa disponibilité sera rétribuée uniquement s’il est entravé dans la jouissance de son temps libre, en particulier s’il doit être prêt à intervenir à bref délai (étant précisé que la question de savoir si cette jurisprudence doit être maintenue a été laissée ouverte). L’indemnité pour le service de piquet peut être inférieure au taux de salaire de base et les parties au contrat peuvent prévoir qu’elle sera intégrée dans le taux de salaire pour l’activité principale8.

Il résulte de ce qui précède que la question de l’indemnisation du service de piquet, lorsqu’il est effectué hors de l’entreprise, est encore source d’incertitudes. Quand il introduit un service de permanence, l’employeur a donc intérêt de régler soigneusement cette question avec les collaborateurs concernés.

Conclusion

La mise en place d’un service de piquet doit ainsi faire l’objet de précautions afin d’éviter de mauvaises surprises pour l’employeur. Si le piquet doit être assuré la nuit ou le dimanche, il est essentiel de veiller à obtenir les autorisations nécessaires. Il faut également prévoir un délai d’intervention qui ne soit pas trop bref, afin d’écarter tout risque de requalification en piquet effectué en entreprise (avec les conséquences lourdes que cela peut entraîner en matière de comptabilisation de la durée du travail). Enfin, au vu de la jurisprudence rendue en la matière, il est recommandé de prévoir de manière claire et précise le mode de rémunération du service de piquet ou son éventuelle absence.

Note en bas de page:

1 Ordonnance 1 relative à la loi sur le travail (OLT1) du 10 mai 2000, RS 822.111.

2 Ordonnance 2 relative à la loi sur le travail (OLT2) du 10 mai 2000 (Dispositions spéciales pour certaines catégories d’entreprises ou de travailleurs), RS 822.112.

3 Arrêt du Tribunal fédéral 4A_11/2016 du 7 juin 2016 : le Tribunal fédéral a par exemple considéré que même si le collaborateur était en droit de quitter l’entreprise, un délai d’intervention extrêmement bref (15 minutes) l’empêchait pratiquement de quitter le lieu de travail et de profiter de ses loisirs. Tout le temps consacré au service de piquet a alors été pris en compte dans la durée du travail.

4 ATF 124 III 249.

5 Arrêt du Tribunal fédéral 4A_523/2010 du 22 novembre 2010.

6 Arrêt du Tribunal fédéral 4A_334/2017 du 4 octobre 2017.

7 Arrêt du Tribunal fédéral 4A_96/2017 du 14 décembre 2017.

8 Il existe toutefois une exception : lorsque le piquet est effectué en entreprise et doit être compté dans la durée du travail, il peut arriver que la durée du travail excède le maximum hebdomadaire prévu par la LTr. Dans cette hypothèse, on est en présence de travail supplémentaire qui doit être compensé conformément à l’art. 13 LTr (Arrêt du Tribunal fédéral 4A_11/2016 du 7 juin 2016.

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