Conseil d’administration: La gestion financière sous surveillance renforcée

Depuis 2023, le droit de la société anonyme impose au conseil d’administration une responsabilité accrue en matière de gestion financière. Ces nouvelles exigences renforcent son devoir de vigilance et élargissent la portée de sa responsabilité face aux difficultés économiques de l’entreprise.

20/11/2025 De: Magdalena Fill
Conseil d’administration

Le fondement d'une société anonyme est sa structure financière, qui sert également de référence pour la responsabilité financière au sein de l'entreprise. La stabilité du financement est au cœur de la gestion des sociétés anonymes. Ainsi, pendant la pandémie de COVID-19 et la crise économique qui l'a accompagnée, les entreprises ont été plus que jamais conscientes de l'importance d'un financement solide et de liquidités suffisantes. Dans une société anonyme, la responsabilité financière incombe au conseil d'administration. En principe, le droit de la société anonyme ne décrit pas comment le conseil d'administration doit gérer le financement de l'entreprise, mais se contente de donner des directives générales. Entrée en vigueur le 1er janvier 2023, la révision du droit de la société anonyme impose au conseil d'administration des tâches et des obligations qui n'existaient pas auparavant, en particulier en période économique difficile.

Obligation intransmissible et inaliénable de responsabilité financière

Les compétences essentielles du conseil d’administration sont énumérées à l’art. 716a CO. Cette disposition dresse la liste des tâches intransmissibles et inaliénables du conseil d’administration, c’est-à-dire des compétences qui ne peuvent être ni retirées par l’assemblée générale ni déléguées à celle-ci.

Selon l’art. 716a, al. 1, ch. 3 CO, le conseil d’administration a notamment le devoir intransmissible et inaliénable d’établir la comptabilité, d’organiser le contrôle financier et le plan financier, dans la mesure où ces instruments sont nécessaires à la gestion de l’entreprise.

Organiser la comptabilité signifie que le conseil d’administration doit mettre en place un système fiable de documentation et d’information assurant une saisie régulière, complète et en temps utile des données financières pertinentes. Ce dispositif doit permettre au conseil d’administration de surveiller en permanence la situation économique de la société et de réagir rapidement aux modifications affectant la structure des liquidités, des revenus ou du patrimoine.

Le contrôle financier vise à garantir la surveillance interne et le suivi des flux financiers. Quant à la planification financière, elle relève également de la responsabilité du conseil d’administration. Elle comprend notamment l’établissement du budget et le maintien de la liquidité et de la solvabilité à long terme.

Le conseil d’administration n’a toutefois pas l’obligation d’exécuter personnellement toutes les tâches de planification financière. Ce qui lui incombe de manière intransmissible, c’est de s’assurer que la planification financière est correctement mise en œuvre et de se tenir informé en permanence de la situation financière de la société.

Liquidité, manque de liquidité et insolvabilité imminente

La liste des obligations intransmissibles et inaliénables montre déjà que la liquidité constitue un élément central de la gestion de la société anonyme. Alors qu’auparavant la liquidité était principalement considérée sous l’angle du droit comptable, elle revêt désormais une importance accrue dans le domaine de la gestion. L’obligation de surveiller les liquidités est expressément mentionnée à l’art. 725 al. 1 CO. La loi souligne ainsi que le conseil d’administration doit adapter en temps utile la planification et la surveillance des liquidités à la taille, à la nature et à la situation financière et économique de la société, afin d’éviter qu’elle ne soit menacée d’insolvabilité. L’insolvabilité est considérée comme imminente lorsqu’il est probable que le débiteur ne sera pas en mesure de faire face à ses obligations financières pendant une période prolongée.

Lorsque l’insolvabilité d’une société est déjà imminente, le conseil d’administration est désormais tenu à des obligations supplémentaires de clarification et d’action, conformément à l’art. 725 al. 2 CO. La solvabilité d’une société est considérée comme menacée lorsqu’il existe un risque concret d’illiquidité et que les difficultés de paiement ne sont pas simplement temporaires. Dans une telle situation, le conseil d’administration doit prendre les mesures nécessaires pour garantir la solvabilité. Si la situation l’exige, il doit également adopter ou proposer à l’assemblée générale les mesures d’assainissement requises. En dernier recours, il lui incombe de déposer une demande de sursis concordataire.

Dans l’exercice de ces obligations, le conseil d’administration doit toujours agir avec célérité. Le législateur met ainsi clairement l’accent sur la responsabilité du conseil d’administration d’intervenir sans délai dès que la menace d’insolvabilité devient concrète.

Perte de capital

En cas de perte de capital, le droit de la société anonyme prévoit également, depuis 2023, de nouvelles obligations pour le conseil d’administration. On entend par perte de capital le fait que les actifs, déduction faite des dettes, ne couvrent plus la moitié de la somme du capital-actions, de la réserve légale issue du capital non remboursable aux actionnaires et de la réserve légale constituée à partir des bénéfices (art. 725a al. 1 CO). Pour déterminer s’il existe effectivement une perte de capital, il convient de se référer aux derniers comptes annuels établis selon les valeurs de continuation.

Engagements en cas de perte existante de capital

En présence d’une perte de capital, le conseil d’administration est tout d’abord tenu de prendre des mesures visant à l’éliminer (art. 725a al. 1 CO). Il peut s’agir, d’une part, de mesures d’ordre comptable, telles que la dissolution de réserves latentes par la réévaluation de participations ou de biens immobiliers (art. 725c CO). D’autre part, une réduction du capital-actions peut également constituer une mesure appropriée (art. 653p CO).

Si des mesures opérationnelles s’avèrent nécessaires, elles doivent également être prises par le conseil d’administration. Il s’agit ici d’actions ayant un effet principalement sur le compte de résultat et, de manière indirecte, sur le bilan, telles que l’augmentation des produits ou la réduction des charges.

 

ASTUCE DE LA PRATIQUE: Pour le conseil d’administration, une combinaison de ces différentes mesures s’avère souvent la plus efficace. Comme mentionné, le conseil d’administration doit agir avec célérité (art. 725a al. 4 CO).

Suspension de l’opting-out

Un autre changement concerne le conseil d’administration en lien avec l’opting-out en cas de perte de capital. Si la société touchée par une perte de capital dispose d’un opting-out existant, le conseil d’administration est tenu de le suspendre et de nommer un réviseur agréé ad hoc. Ce dernier doit alors contrôler les derniers comptes annuels avant leur approbation par l’assemblée générale (art. 725a al. 2 CO).

Si le conseil d’administration ne respecte pas cette obligation, la décision de l’assemblée générale est nulle (art. 731 al. 3 CO). Une exception à cette règle n’est possible que si le conseil d’administration a déposé une demande de sursis concordataire (art. 725a al. 3 CO).

Une fois la perte de capital éliminée, il n’est pas nécessaire de décider à nouveau un opting-out de manière formelle, pour autant que les conditions de l’art. 727 en relation avec l’art. 727a al. 2 CO soient toujours remplies. Dans ce cas, l’opting-out continue à produire ses effets sans nouvelle décision.

REMARQUE: L’idée sous-jacente du législateur concernant cette obligation est que les sociétés bénéficiant d’un opting-out peuvent être confrontées à une perte de capital que le conseil d’administration risquerait de ne pas détecter, ou de détecter trop tard, en raison de l’absence de contrôle ordinaire. L’objectif est donc de renforcer la prise de conscience du conseil d’administration quant à son obligation de révision et à la surveillance de la situation financière de la société.

Préoccupation fondée de surendettement

La troisième obligation imposée au conseil d’administration depuis l’entrée en vigueur de la révision du droit de la société anonyme en 2023 concerne le surendettement éventuel d’une entreprise. Un article spécifique y est consacré : l’art. 725b CO.

Il y a surendettement lorsque les dettes de la société ne sont plus couvertes par les actifs (art. 725b al. 1 CO). Autrement dit, les fonds propres sont entièrement épuisés. Lors de l’évaluation des moyens financiers disponibles à la date de clôture, la société n’est alors plus en mesure de s’acquitter de ses dettes avec les actifs dont elle dispose, ce qui remet en question son existence même.

En cas de crainte justifiée de surendettement, le conseil d’administration a l’obligation d’établir immédiatement un bilan intermédiaire. Si l’hypothèse de la continuation de l’exploitation peut être retenue, ce bilan peut être dressé selon les valeurs de continuation, généralement plus élevées. Si ce premier bilan fait apparaître un surendettement, le conseil d’administration doit ensuite établir un second bilan intermédiaire selon les valeurs vénales (art. 725b al. 1 CO).

Lorsque les deux bilans intermédiaires, celui établi sur la base des valeurs de continuation et celui sur la base des valeurs vénales, font ressortir un surendettement, la société est effectivement surendettée au sens de l’art. 725b CO. Ces bilans intermédiaires doivent être vérifiés par un réviseur agréé, qui, en cas d’opting-out, doit être spécialement mandaté par le conseil d’administration (art. 725b al. 2 CO).

Conséquences juridiques

Si un surendettement est constaté, le conseil d’administration doit en informer le tribunal et demander soit un sursis concordataire, soit l’ouverture immédiate de la faillite (art. 725b al. 3 CO). Une demande d’ajournement de la faillite n’est plus possible depuis l’entrée en vigueur de la révision du droit de la société anonyme (art. 725a CO). Dans le cadre de ces démarches, le conseil d’administration doit toujours agir avec la célérité requise (art. 725b al. 6 CO).

L’information du tribunal peut toutefois être omise dans deux cas exceptionnels: la postposition et l’assainissement tacite (art. 725b al. 4 CO). Si une convention de postposition a été conclue avec les créanciers de la société, le conseil d’administration est dispensé de son obligation d’aviser le tribunal. De même, la communication peut être différée en cas d’assainissement tacite, c’est-à-dire lorsque le surendettement peut être éliminé dans un délai raisonnable, mais au plus tard dans les 90 jours suivant la présentation des comptes intermédiaires audités. Ce report ne doit toutefois pas mettre en péril les intérêts des créanciers.

Conséquences en cas de comportement fautif

Si le conseil d’administration ne remplit pas ses obligations en matière de responsabilité financière, il peut être tenu pour responsable d’un assainissement ou d’une faillite retardée, pour autant que les conditions des art. 754 ss CO soient remplies. Il apparaît donc clairement que les dispositions entrées en vigueur en 2023 ont instauré des obligations supplémentaires et qu’elles entraînent, dans l’ensemble, une augmentation du risque de responsabilité du conseil d’administration.

Conclusion

La responsabilité financière du conseil d’administration s’est considérablement élargie et a gagné en importance en raison des obligations introduites depuis 2023. Si ces obligations visent à permettre aux sociétés de surmonter les périodes économiques difficiles, leur efficacité dépend avant tout du moment de leur mise en œuvre. Plus le conseil d’administration s’acquitte de ses obligations rapidement, plus les chances de surmonter une crise financière sont élevées.

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